Prison pour les maîtres

publié dans « Sud ouest » le 14.09.2011

Trois jeunes marginaux, propriétaires des chiens qui ont réagi en meute agressive, rue Saint-Esprit à Bergerac en avril, comparaissaient hier devant le tribunal correctionnel. Ils répondaient de divagation d’animal et de violences consécutives à un manque d’attention.

Le jour des faits, les sept bêtes ont apparemment passé toute la nuit enfermées dans un petit appartement. Là vivent Aurélie Sanchez, propriétaire de deux chiens, et son compagnon Ali Djoumbé, qui en a trois. Ils hébergent Raphaël Leclère et ses deux bêtes. Aurélie Sanchez n’est pas là, partie pour accoucher à Périgueux. Ali Djoumbé s’est absenté « une heure pour raccompagner une amie chez elle », affirme-t-il. Raphaël Leclère est rentré à 6 heures du matin, trouvant les 7 chiens dans le salon, et s’est endormi.

Sauvé par un automobiliste

Ce dimanche-là, vers 9 h 30, René Dussutour remonte comme chaque matin la rue Saint-Esprit vers chez lui, avec le journal et le pain. Les chiens l’attaquent et le mordent aux jambes, aux avant-bras et à l’abdomen : « J’ai eu la chance de ne pas tomber et, surtout, je dois la vie au courage de Didier Feytout qui passait en voiture. Il s’est arrêté et a dispersé les animaux de son mieux. Le sang sur le trottoir, c’est le sien, car il a aussi été mordu », confiait hier cet homme de 74 ans, pendant que le tribunal décidait du sort des propriétaires des animaux.

René Dussutour conserve les photos de ses multiples bandages et le pantalon lacéré qu’il portait ce matin-là. « Depuis, quand je vois des chiens, je change de trottoir. Et je n’ai jamais repris la rue Saint-Esprit. »

Aussitôt dégagé de la meute par l’intervention de Didier Feytout, il va à la pharmacie la plus proche, demande qu’on prévienne son épouse et s’évanouit. Conduit aux urgences, il y reste cinq heures, puis doit bénéficier de soins quotidiens durant un mois.

Comme le tribunal, il reste pantois devant l’irresponsabilité des trois prévenus. Les chiens, bien soignés et bien nourris, n’étaient pas assurés pour les dégâts qu’ils pouvaient commettre. Et aucun des trois propriétaires n’a le moindre mot pour les victimes. Ali Djoumbé va jusqu’à affirmer d’un ton véhément qu’il « aimait ses chiens comme ses enfants, et que la canne agitée par le septuagénaire a pu exciter les chiens, habituellement très calmes. » Avis confirmé par le vétérinaire.

« Votre salon était un chenil »

« Le problème, c’est qu’ils étaient stockés comme du bétail. Vous les avez rendus comme des fauves. Votre salon était un chenil ! » s’indigne le président du tribunal, Alain Bressy, qui élargit son propos : « La société n’aime pas vous voir en ville avec vos meutes de chiens parce qu’elle a peur de leur agressivité. Par votre comportement, vous la confortez dans cette conception, alors même que le vétérinaire constate qu’ils ne sont pas foncièrement agressifs. »

Les dédommagements demandés par les avocats des parties civiles ont été acceptés par le tribunal. Le rôle de la défense, lui, était particulièrement délicat. Le parcours des trois jeunes gens et leurs responsabilités respectives ont fait l’objet de longs débats. Le délibéré a ensuite globalement suivi les réquisitions du ministère public. Ali Djoumbé, 28 ans, le seul du trio à avoir un emploi, dans un restaurant de Bergerac, a été condamné à dix mois de prison : « Votre amour des animaux vous étouffe. Vous n’avez aucune conscience du monde qui vous entoure. Et, comme le montre cette affaire, des conséquences de vos comportements à risque », a souligné le président du tribunal.

Le temps de se ressaisir

Raphaël Leclère, âgé de 23 ans, a été condamné à la même peine. Son casier judiciaire fait déjà état de multiples délits, totalisant (sans prendre en compte cette nouvelle condamnation et deux dossiers à venir), 22 mois d’emprisonnement. Mais, par le biais de sursis ou d’aménagements, il n’en a pas exécuté une journée. Son lourd passé s’explique en partie par les graves difficultés psychiatriques de sa mère. Mais le tribunal a estimé qu’il avait besoin d’un « électrochoc » pour se ressaisir. Il a donc été conduit directement à la maison d’arrêt de Périgueux.

Aurélie Sanchez, 22 ans, a été condamnée à cinq mois de prison. Le tribunal a pris naturellement en compte les raisons de son absence le jour des faits, mais a estimé qu’elle s’était montrée particulièrement insouciante en confiant ses chiens à Raphaël Leclère, dont elle ne pouvait ignorer la désinvolture.

Les chiens, à l’origine confiés à la SPA locale, ont été depuis dispersés dans des associations hors du département, qui choisiront soit l’euthanasie, soit la mise à l’adoption.